Forain des Mers

plus j'apprends, plus je me sens ignorant.... alors j'ai décidé d'aller encore plus vers les autres...

hivernage ici

kalamata Péloponèse

 
 

 heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage....(Joachim Du Bellay)

combat de chèvres

 

Combats de chèvres à Helatros Bay

Le bateau vient d’entrer dans l’étroite échancrure de la montagne. Bien qu’aucun panneau ne l’indique nous sommes à Hélatros-Bay sur la côte ouest de Kassos cette petite île du Dodécanèse, la dernière avant la traversée dans le Meltem pour rejoindre la grande sœur, la Crète.

 

 

Les pentes de l’abri sont si abruptes que l’on se sent écrasé par la roche dénudée, comme prisonnier du fond d’un entonnoir.

La petite plage de cailloux et de galets gris n’offre guère de charme mais un banc et deux parasols se dressent fièrement comme pour dire : mais si, même dans ce coin isolé certains viennent se baigner dans mon eau turquoise.

Le chemin qui part droit dans la garrigue indique la seule voie pour gagner la capitale de l’île, oh! Petite, très petite capitale d’une centaine d’habitants hébergeant eux même une centaine de vacanciers venus se ressourcer au soleil méditerranéen.

Il est tard en cette fin d’après midi et l’on entend tintinnabuler des clochettes  et bêler des chèvres invisibles.

Derrière la plage, derrière par les hauts tamaris couverts d’une poussière blanche, d’une poussière d’été amenée par les rafales descendues de la montagne se cache une chèvrerie sans confort.

Il faut voir, vieil amas de pierres disloquées et de branchages rapportés en guise de couverture, protection contre le  soleil brûlant comme les flammes de l’enfer. La cabane est  appuyée aux oliviers chétifs sans cesse nettoyés, plutôt malmenés par les dents acérées des caprinidés.

Béé, béé répètent avec insistance ces fières bestioles qui déambulent cherchant leur nourriture avec opiniâtreté.

Soudain, adossé à un olivier centenaire une tâche noire bouge un peu, mais assez pour attirer l’attention. Une casquette vieillote et  rapiécée surmonte une barbe millénaire, dévorant un visage buriné par le temps. Serait-ce un des compagnons d’infortune d’Ulysse ou Ulysse lui-même que le temps aurait épargné ? Non il s’agit simplement du berger, d’un vieux berger sans âge marqué par le temps et qui veille sur son troupeau dans une demie léthargie.

Il me regarde d’un regard indéfinissable qui met mal à l’aise. Est-il heureux de son existence ? Est-il malheureux dans une infortune ensoleillée ?

Il ne répond pas à mon salut ou peut être l’a-t-il fait sans bouger les lèvres comme pour ne pas troubler le temps qui s’écoule inexorablement.

Il est à présent dix neuf heures, la crique est dans l’ombre et il n’est pas difficile d’imaginer le soleil encore haut dans le ciel tenter de se cacher par delà les falaises.

Et ça tinte et tinte encore, la montagne amplifiant les sons comme pour dire : vous n’êtes pas tout seul ici, ici il y a nous, il y a la vie, vous ne pourrez pas raconter à vos amis la belle histoire de votre voilier perdu au bout du monde loin de toute âme qui vive.

Soudain un grand fracas de pierres qui dévalent la falaise et s’éclaboussent dans la mer attire notre attention. Elles sont là les biquettes ; une deux puis trois puis dix broutent les brindilles salées d’embruns sur le  flanc de la roche encore éclairée par le soleil.

Béé, béé la conversation va bon train sans doute des commentaires de commères  « et comment va le petit de brunette, et que c’est dur de manger à ma faim et l’autre qui se contente de dormir toute la journée sur son olivier en attendant de me soulager le pis…. »

A chaque instant on craint pour elles, on craint qu’elles ne glissent sur ces pentes escarpées là même où un alpiniste chevronné ne se risquerait pas. Et broum! Encore des pierres qui décrochent sous le sabot d’une impertinente. Elle ne témoigne même pas d’un brin d’appréhension, tout juste si elle se bat pour retrouver cet équilibre précaire qui la tient à flanc de roches. Nous les suivons d’un regard amusé comme l’enfant qui visite pour la première fois la plaine africaine du parc de la Tête d’Or  à Lyon.

Nos yeux s’illuminent des couleurs et des paysages sauvages de la montagne, et de toutes ses tâches de couleurs qui sautent de roc en monticule, d’éperon en faille, d’arbuste décharné suspendu à flanc de montagne en arbousier chétif.

Chaque saut nous fait craindre la chute, chaque saut nous sublime d’agilité des bestioles qui font fi du vide et de son danger.

 

 

Soudain il y a de l’excitation dans le troupeau, de la fâcherie. Les chèvres s’agitent se bousculent comme pour être la première à brouter le myrte qui a poussé derrière la pierre jaune. Coups de cornes, intox, bêlement rageur, secouement des belles pampilles qui font leur charme, toute la panoplie de l’intimidation y passe. Elles se retirent prennent du champ dans des marches arrières époustouflantes. Au loin de son banc le vieux berger n’a même pas un regard pour ses protégées, il a l’habitude le bougre, ses chèvres sont sur leur terrain de jeu, chez elles.

Alors l’agitation prend une tournure belliqueuse. Deux biquettes s’affrontent au-dessus du précipice et à grands coups de cornes tentent de se déstabiliser. Dans cette querelle haut perchée, les bois s’entrechoquent dans un fracas effrayant qui résonne dans toute la crique, couvrant même parfois la mer qui dans un ressac vient mourir sur les galets. Et le combat nous semble durer l’éternité. Chaque coup de tête pour violent qu’il soit, nous fait peur pour l’agresseur et l’agressé, peur d’une chute mortelle dans la mer.

Un des deux protagonistes recule enfin, sans se retourner, le combat est fini, la noir et feu a trouvé semble t-il son maître.

Soulagé nous détournons un instant le regard tel le spectateur à la fin d’un récital. Mais de nouveau, les bruits de cornes qui se heurtent résonnent jusque dans le carré du bateau. Loin d’en finir, le combat n’était qu’une escarmouche, mais la donne a changé. Comme s’il fallait commettre l’hallali se sont les autres qui se ruent à l’assaut de la vaincue, une, puis deux, puis trois se relaient pour jeter à la mer l’infortunée qui résiste manquant mille fois de déraper dans l’à pic.

Et roulent les roches qui s’éclatent sous les sabots des belligérantes. Et hop! Les sauts dans le vide de quelques mètres, les rétablissements acrobatiques et périlleux. Et la noiraude recule, cède du terrain devant cette horde furieuse. Stratégie militaire, une des chèvres contourne par le haut et l’attaque par l’arrière, la traîtresse !  On sent vraiment qu’il ne s’agit pas d’un jeu mais d’un meurtre prémédité. La fuite permettra la vie sauve de notre chèvre courageuse. Alors pourquoi cette bagarre ? Certainement pour affirmer sa supériorité dans le groupe, ou alors y a-t-il non loin de là un bouc qui attend patiemment, mais en général le bouc ne fait pas de choix il consomme tout ce qui est à sa portée.

 

 

Voila une heure que nous sommes spectateurs effrayés Des sifflements, des ‘bious bious’ qui parviennent de la bergerie. Le berger est sorti de sa torpeur. Il appelle de sa voix caverneuse et usée ses protégées. C’est l’heure de rentrer, de rentrer pour la traite, de rentrer pour la nuit se protéger de je ne sais quel chien errant qui rôde en quête de victime à égorger, pour jouer.

  

retour de pêche

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DOUCEUR DE VIVRE